PROSECO
article de Léa Françoise
Le site du barrage hydroélectrique de Petit Saut comprend le bureau d’étude et de recherche Hydreco (http://hydrecolab.com/), qui est notamment en charge de la surveillance hydrobiologique du lac. Dans le cadre de conventions, Hydreco met à disposition, aux chercheurs de passage, des locaux leur permettant d’analyser des échantillons d’origines animales ou végétales récupérés lors de missions de terrain. Le site propose également un carbet équipé pour l’hébergement des chercheurs, qui doivent néanmoins se munir de leurs propres hamacs.
Au début de l’année 2018, des chercheurs de métropole et de Guyane se sont réunis à Petit Saut durant plusieurs semaines pour mener à bien un projet de recherche scientifique : le projet PROSECO (Quels PROcessuS déterminent la résilience fonctionnelle des ECOsystèmesnéotropicaux à la sécheresse). Ce dernier s’intéresse à l’impact des sécheresses sur les milieux aquatiques. Mais, contrairement à ce qu’on pourrait s’attendre, ces chercheurs ne s’intéressent pas au lac, mais à des plus petits écosystèmes que peu d’entre nous connaissent : les réservoirs d’eau des broméliacées. Cela fait des années que ces chercheurs travaillent dans la forêt aux alentours de Petit Saut.
Mais qu’est-ce qu’une Broméliacée ?
L’un des représentants le plus connu de tous dans la famille des broméliacées est l’ananas. Mais cette famille de plantes à fleurs regroupe quelques milliers d’espèces que l’on retrouve soit en hauteur sur les branches des arbres ou sur divers supports solides (roche, poteaux téléphoniques ou câbles électriques) soit enracinées au sol. Ces plantes ont des tiges très réduites du fait de la disposition des feuilles en rosette. Près de la moitié des espèces de cette famille ont des feuilles élargies qui se recouvrent à leur base permettant d’accumuler de l’eau de pluie dans ce réservoir naturel, on parle alors de broméliacées à réservoir d’eau. Selon les espèces, ces plantes peuvent collecter de quelques millilitres jusqu’à des dizaines de litres d’eau de pluie. Elles reproduisent ainsi en miniature toutes les caractéristiques des plus grands étangs et lac ce qui en font des modèles d’études très utiles en écologie pour comprendre ce qui se passe dans les milieux aquatiques plus grands.
Camille Bonhomme prélevant à l’aide d’une pipette l’eau et les invertébrés dans les réservoirs d’une Broméliacée.
Étudier ces petits écosystèmes aquatiques a de nombreux avantages en science. Depuis de nombreuses années, ces réservoirs d’eau douce sont étudiés afin de comprendre ce qui se passe dans des écosystèmes aquatiques plus grands tels que des lacs. En effet, il est important de répéter ces observations sur un grand nombre d’échantillons afin d’obtenir des résultats significatifs d’un point de vue statistique, et donc répétables. Échantillonner des lacs entiers est impossible, et quand bien même, il n’existe pas deux lacs identiques sur le plan des caractéristiques hydrologiques (taille, profondeur) et biologiques. L’avantage des broméliacées pour les chercheurs est donc qu’elles forment des petits systèmes faciles à échantillonner, relativement comparables, disponibles dans toute la région néotropicale, et surtout facilement manipulables.
Le but du projet PROSECO est de connaitre l’impact des changements climatiques sur les milieux aquatiques. Le changement climatique est un sujet qui fait débat : les températures augmentent et la fréquence et l’intensité des pluies diminuent dans certaines parties du monde. En milieu tropical, les sécheresses devraient se faire de plus en plus fréquentes et fortes. Cela aurait de forts impacts sur les milieux aquatiques qui ont un rôle important pour différents organismes (nurseries, site de ponte, etc…). Les réseaux alimentaires pourraient être modifiés si l’environnement n’est plus capable d’abriter autant d’organismes. Ces modifications changeraient la distribution des espèces : certaines, plus sensibles à la sècheresse, pourraient disparaître, et d’autres pourraient les remplacer. Cela pourrait conduire à une cascade d’événements qui favoriserait la prolifération d’espèces envahissantes par exemple ou au contraire ferait disparaître des espèces clés pour le maintien des fonctions de l’écosystème. En effet, les organismes présents dans un milieu ont des fonctions propres qui permettent à l’écosystème tout entier de bien fonctionner. Ce projet permettra de savoir à quel point les écosystèmes aquatiques sont capables de retrouver leurs fonctions initiales après un événement stressant tel qu’une sècheresse prolongée. Un des objectifs importants de cette étude est de savoir quelles sont les caractéristiques physiologiques, biologiques et écologiques qui confèrent une certaine tolérance à la sècheresse aux organismes aquatiques.
Pour mener à bien cette étude, plusieurs chercheurs de laboratoires et de spécialités différentes se sont réunis à Petit Saut. Ainsi, l’équipe impliquée dans ce projet de recherche possède une très bonne connaissance de l’écologie des plantes, des communautés d’insectes et des microorganismes ainsi que des réseaux d’interactions associés.
Ce projet est mené sous la supervision de Régis Céréghino du laboratoire Ecolab de Toulouse qui étudie le fonctionnement des écosystèmes aquatiques et terrestres (http://www.ecolab.omp.eu/). Régis est Professeur à l’université Toulouse 3 et spécialisé en écologie des communautés d’invertébrés aquatiques (organismes étudiés dans les broméliacées). Il s’intéresse notamment aux interactions entre les espèces. Il a coordonné et participé à de nombreux projets nationaux ou internationaux en utilisant les broméliacées comme modèle écologique.
Photo de gauche : Bruno Corbara prélevant à l’aide d’une pipette l’eau et les insectes aquatiques dans les réservoirs d’une Broméliacée. Photo du centre : Jean-François Carrias et Léa Françoise procédant au tri des invertébrés aquatiques afin de dénombrer et identifier les organismes présents dans les Broméliacées à réservoirs d’eau. Photo de droite : Vincent Jassey, Joséphine Leflaive et Céline Leroy finissant de prélever le contenu des Broméliacées à réservoir d’eau.
Camille Bonhomme est doctorante à l’Université Fédérale de Rio de Janeiro au Brésil. Elle étudie depuis son Master les insectes évoluant dans les broméliacées à réservoir d’eau et l’impact du forçage climatique sur ces communautés. Vincent Jassey est un écologiste microbien récemment recruté au CNRS de Toulouse en tant que chargé de recherche spécialisé dans l’étude des réponses des communautés microbiennes face aux changements climatiques.
Joséphine Leflaive est maître de conférences à l’Université Toulouse 3 et spécialiste au CNRS Toulouse de la biologie-écologie et des interactions chez les microorganismes et de leurs conséquences sur le fonctionnement des milieux.
Arthur Compin est ingénieur de recherche CNRS en écologie et spécialiste des invertébrés aquatiques et habitué du travail de terrain en Guyane Française.
Céline Leroy est chargée de recherche à l’IRD à l’UMR AMAP (http://amap.cirad.fr/fr/index.php) et est accueillie à l’UMR EcoFoG (https://www.ecofog.gf/). Céline est une spécialiste de l’écologie tropicale avec un intérêt pour la biologie et l’écophysiologie des plantes, dont les broméliacées, et leurs interactions avec les insectes (terrestres et aquatiques) et les microorganismes. Elle possède une grande expertise de recherches en milieu tropical et des expérimentations de terrain.
Léa Françoise est une étudiante en écologie tropicale du Master2 ECOTROP de l’Université des Antilles qui a été impliqué dès son stage de Master 1 en Biodiversité, Écologie et Évolution à l’Université Paul Sabatier de Toulouse dans ce projet. Ces travaux concernent l’étude de la résistance à la sècheresse des invertébrés aquatiques.
L’équipe de recherche regroupe aussi des chercheurs du laboratoire LMGE de Clermont-Ferrand (http://www.lmge.univ-bpclermont.fr/).
Jean-François Carrias est un spécialiste de la boucle microbienne en eaux douces. Il possède une expertise de la taxonomie des microorganismes et de leurs interactions avec les autres animaux. Bruno Corbara a une longue expérience de recherches et d’expérimentations de terrain sous les tropiques (dont la Guyane annuellement depuis 23 ans) et dans l’organisation de missions de terrain à grande échelle (Direction des missions Radeau des Cimes au Panama et Vanuatu). Il possède de fortes compétences dans l’étude des arthropodes et des interactions plantes-insectes, et est reconnu pour ses compétences dans la diffusion de la science au grand public, comme en attestent ses différents ouvrages.
Ce projet a demandé un long travail de terrain et de laboratoire pour simuler différentes périodes de sécheresse, échantillonner, identifier et quantifier les organismes aquatiques et déterminer les modifications de certaines fonctions écosystémiques. Les projets de recherches nécessitent d’importants moyens financiers et c’est grâce à différents soutiens scientifiques et financiers, notamment via le LaBex CEBA (Centre d’étude sur la biodiversité Amazonienne, http://www.labexceba.fr/) qu’ils peuvent voir le jour. Ils nécessitent des équipements divers et onéreux présents dans les différents laboratoires respectifs des chercheurs. Divers programmes apportent aussi leurs financements, tels que les programmes de l’ANR (Agence Nationale de la Recherche).
Photo de gauche : Arthur Compin notant les paramètres environnementaux importants pour l’étude.
Photo de droite : Céline Leroy préparant la mission sur le terrain en localisant et identifiant chaque
broméliacée.